{ Roméo et Juliette } >Libre<

> La librairie de Juneau était connue de tous ; même des plus ignorants. On ne pouvait que remarquer ce petit espace confiné qui ne nous aurait jamais fait penser à une boutique. C'était pourtant le cas. Jane faisait souvent des petites haltes dans lieu enchanté. Elle repartait avec de la lecture pour un bon mois mais revenait la semaine suivante, assurant au libraire qu'elle avait tout lu et il ne la croyait pas. La jeune femme avait -au départ- joué des pieds et des mains pour le convaincre, mais avait cessé après quelques visites ; en vain. Il était certes, très surprenant de savoir ce tout petit bout de femme séduisante mais mortellement diabolique, pouvait avaler une bonne dizaine de bouquins en une petite semaine mais le plus surprenant était que c'était la routine... Une seule explication aurait été rationnelle dans ce bas monde : Miss Volturi était insomniaque. Oui, elle était insomniaque mais pas vraiment dans le sens que vous pensez camarade. Elle ne dormait vraiment jamais. Absolument jamais. Jane passait donc ses nuits à bouquiner avec une lumière faible à ses côtés. Elle adorait ces moments, même s'ils ne semblent point trop correspondre avec l'image que renvoie la demoiselle. Peu importe, le superficiel est toujours présent et tout le monde juge autrui ; pour finir, personne ne se connaît réellement.
> Aujourd'hui, lors de cette journée sombre et pluvieuse, peu de monde avait jugé bon de sortir. Chacun devait être assis devant sa cheminée à se réchauffer les mains et presque personne n'avait pointé le bout de son nez au dehors. Ce qui n'était évidemment pas le cas de Jane, le temps ne la dérangeait jamais. Sauf lorsqu'il faisait extrèmement beau et chaud, je vous l'accorde. Mais hormis ce cas assez exceptionnel, la météo importait peu notre vampirette. Donc cette journée était comme une autre, ce samedi était ordinaire. Son petit saut à la librairie devait se faire, sinon, qu'aurait-elle fait de toutes ses nuits ? Un fin sourire aux lèvres, Jane se dandinait joyeusement dans les rues de Juneau... Elle savait exactement quels ouvrages elle allait emprunter. Ses goûts se situaient plus particulièrement dans l'ancienne littérature, les auteurs d'aujourd'hui, elle les trouvait médiocre. La jeune femme avait tout connu, pendant tous ces siècles où elle n'avait -presque- rien eu à faire, elle s'était instruite, avait avalé des tonnes de livres... Et s'en portait parfaitement bien.
> Donc aujourd'hui, Miss Volturi voulait emprunter Roméo et Juliette. Une oeuvre qui n'est inconnue pour personne, certes, mais cela faisait toujours "chaud au coeur" à Jane de lire cet ouvrage. Elle était née dans le village clé de l'histoire. Elle avait connu les ruelles par coeur, se rappelait des moindres recoins. Néanmoins, le lieu avait bien du changer depuis quelques siècles, mais en tout cas pas la nom, ni même la signification que sa ville natale avait pour elle. Vérone. C'était ici que Jane avait passé toute sa petite enfance, continuant avec son adolescence, qu'elle n'avait jamais pu vraiment mettre un terme. C'était aussi un lieu douloureux pour elle ; elle avait été humiliée devant une centaine de personne, le jour du bûcher. Mais tout cela était du passé et il ne sert strictement à rien de remuer le couteau dans la plaie. C'était pourtant une blessure qui ne se refermerait jamais complètement...
> Une vieille odeur de livres anciens vint lui effleurer les narines. La vieille odeur. Jane la connaissait par coeur et elle aurait pu l'identifier entre milles. Elle appréciait cet arôme qui n'avait pourtant rien de séduisant ; elle s'y était habituée au bout de quelques temps... Et à présent, pour rien au monde elle ne raterait sa visite du samedi matin. Cher lecteur, vous n'imaginez peut-être pas Jane Volturi ainsi mais c'est la stricte vérité ; encore maintenant, lors de ses moments de solitude ou quelque chose dans le genre, elle redevient la Jane qu'avait connue Niccola... Enfin bref, ceci est aussi un sujet douloureux ! Mais ne vous fiez pas aux apparences camarade, même si la vampirette paraît frêle, elle pourrait se retourner et devenir irréstistiblement agressive ! Surtout si vous êtes un humain à l'odeur plus qu'alléchante... Prenez gare à vous !
> La jeune femme s'approcha du vieux libraire qu'elle connaissait bien, à présent. De sa même voix enfantine et presque flûtée, elle lui fit part de sa commande. Jane garda l'oeuvre de Shakespeare en dernier. Le meilleur pour la fin dirait-on...

"Je vais vous cherchez tout cela,

murmura le vieil homme,

Melle... Volturi, si je ne m'abuse..."

> Le physique du gérant de la boutique correspondait à celle-ci ; non pas qu'il soit ingrât mais on aurait dit que l'homme avait toujours vécu dans sa librairie. Il y était à l'aise, comme dans son vrai chez lui. N'importe qui en aurait été attendri, mais certainement pas Jane, qui n'avait aucune affinité avec aucun humain. Elle voulait tout de même paraître polie, si bien qu'elle fut obligée de lui répondre par un sourire forcé. Plus un rictus qu'un sourire d'ailleurs, mais peu importe, le vieil homme ne parut pas s'en apercevoir, lui aussi esquissant un sourire chaleureux qui contaminait ses yeux fatigués derrière de vieux carreaux épais de lunettes. Jane n'en fut pas plus touchée, elle attendait ses ouvrages et vite. La jeune femme n'était jamais très à l'aise avec les humains, il fallait qu'elle fasse des efforts. Et les rares personnes qui se trouvaient dans la librairie en ce moment faisaient tout pour ne pas l'approcher, ce qui rendait la tâche un peu plus facile, certes. Mais pas non plus toute évidente.
> Attendant toujours le retour du libraire, Jane se mit à tapoter ses doigts pâles sur le comptoir. Elle n'avait jamais été très patiente et encore moins lorsqu'il s'agissait d'ouvrages anciens. Roméo et Juliette, elle l'avait lu une bonne dizaine de fois mais jamais elle ne s'en lasserait. Comme si ce livre lui rappelait des souvenirs d'autrefois qui continuaient à devenir de plus en plus flous chaque jour... Eh oui, la mémoire humaine des vampires n'est pas éternelle, elle. Entendant des pas lourds remonter l'escalier, Miss Volturi eut un soupir de contentement, se préparant à emporter "son bien". Mais quelque l'en empêcha. Ses narines s'étaient dilatées à l'odeur qu'elle venait de remarquer...

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